Archives de la journée d’études « Défaire le musée ou comment le recomposer »
Date : 8 avril 2025
Lieu : EnsadLab – École des Arts Décoratifs – 31, rue d’Ulm, 75005 Paris
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Organisée par la Plateforme « art, design et société », avec Francesca Cozzolino (anthropologue, enseignante-chercheure EnsadLab), Inés Moreno (chercheuse CNAM-HT2S, doctorante EHESS-CRH), Margareta von Oswald (anthropologue, Humboldt-Universität zu Berlin)
Archives de la journées produites et éditorialisées par Martin Imler (designer et stagiaire EnsadLab) avec le concours de Christophe Pornay, ingénieur technique EnsadLab.
Argumentaire :
Si le musée a, depuis sa naissance, été accompagné de nombreux questionnements, il s’est retrouvé ces dernières années au centre des débats critiques qui interrogent son histoire et ses récits, ses fonctions et ses valeurs, ainsi que la portée de son rôle social en tant qu’institution publique.
L’institution muséale fait ainsi l’objet d’un questionnement profond au sein de ses propres instances organisatrices, comme en témoignent les controverses autour de sa définition qui ont marqué les rencontres de l’ICOM entre 2019-2022 (Etges et Dean, 2022). Institution structurante de la modernité occidentale et intrinsèquement liée au projet colonial (Mignolo, 2005 et Vázquez, 2018), le musée a été troublé par la remise en question du statut des collections, leur conservation, classification et présentation et les systèmes de valeurs qui sous-tendent ces pratiques (Dahm, Jacques et Müller, 2024).
Aujourd’hui, le musée semble traverser une crise structurelle où la convergence de différentes traditions critiques et, en particulier, des approches décoloniales, ont provoqué un profond bouleversement de ses fondements institutionnels. Les écosystèmes muséaux semblent plus que jamais animés par une dynamique tensionnelle qui confronte des tentatives d’ouverture et des résistances au changement. Ces processus ont contribué à reconfigurer les discours et les pratiques autour de problématiques telles que la représentation inclusive, la réappropriation, la reconnaissance, ou encore la restitution, tout en donnant une visibilité nouvelle à ces questions sur l’arène publique ainsi que dans le monde scientifique (Bodenstein et al. 2024).
La montée en importance de ces débats engendre de nouvelles transformations de l’institution muséale. D’une part, le musée s’ouvre à l’effervescence des mobilisations sociales actuelles (en intégrant ces questionnements, par exemple, dans des expositions temporaires), de l’autre, des réseaux militants prennent le musée comme scène médiatique pour y afficher leurs revendications. La portée des nouveaux enjeux critiques qui affectent les musées est multiscalaire et englobe une diversité de positionnements, allant des perspectives réformistes aux demandes de transformations concrètes, jusqu’aux appels au démantèlement, voire à l’abolition. Plus ou moins disruptives ou radicales, ces critiques s’enracinent dans une méfiance envers l’institution muséale et réclament de mettre en place de politiques davantage participatives et démocratiques et de repenser de façon structurelle son fonctionnement et ses modes d’organisation.
Cette journée d’étude fait le pari que dans ces temps troubles où les appels à défaire le musée se multiplient, il soit encore possible de le reconfigurer, voire de le recomposer pour en faire un espace à l’écoute et au service des transformations sociales. Cette journée d’étude s’intéresse particulièrement à la manière dont ce qui n’était pas considéré comme patrimoine le devient (des enquêtes sur les patrimoines industriels ou sur les archives issues de luttes militantes), aux résistances et contradictions qui émergent de ces requalifications symboliques ou matérielles, aux pratiques qui depuis d’autres domaines d’actions (parfois militants, parfois citoyens) viennent impulser des nouvelles dynamiques d’interaction entre musées et sociétés. Il s’agira de réfléchir aux limites et aux potentialités du musée, en convoquant des expériences issues des cas concrets pour proposer des éléments de réponse à nos questions de recherche.
Archives vidéo de la journée d’études
Introduction
Francesca Cozzolino, Inés Moreno, Margareta von Oswald
Session 1
Mabel Tapia (Chercheuse en art contemporain et ex-directrice artistique adjointe du Museo Reina Sofía – Madrid) « Bouleverser les sorts : Museu Habitat [Musée Habité], une expérience de musée sans musée en Catalogne. »
Lancé en 2024, le programme Museu Habitat repense en profondeur les fondements du musée en explorant de nouvelles relations entre les institutions et la société, en investissant l’espace social comme lieu de recherche et d’action.
Thierry Bonnot (Anthropologue, IRIS – CNRS/EHESS) « Mémoires intempestives. Quand les musées gèrent les restes des industries. »
Réfléchir sur la gestion des collections du patrimoine industriel dans les écomusées et les musées sociaux en France met en évidence les tensions entre accumulation matérielle, ambitions participatives et transformations de la mémoire, tout en interrogeant la valeur patrimoniale des objets à la lumière des défis environnementaux et sociaux contemporains.
Session 2
Renaud Chantraine (Anthropologue, SESSTIM, Aix-Marseille Université) « Le musée, « prison dorée » du patrimoine militant de la lutte contre le VIH/sida ? »
L’intégration au MUCEM d’un objet militant d’Act Up-Paris met en évidence les tensions et les paradoxes du processus de patrimonialisation, entre protection de la mémoire et risque de dépolitisation, remettant en question le rôle des institutions face aux mobilisations communautaires autour des archives LGBTQI.
Judith Dehail (Maîtresse de conférences, chercheuse au Laboratoire d’Études en Sciences des Arts (LESA), Université d’Aix-Marseille) « Muséifier les récits minoritaires ou minoriser le musée ? À la recherche de perspectives d’évolution pour l’institution muséale. »
Deux projets de recherche en médiation remettent en question la capacité des institutions patrimoniales à se transformer en profondeur face aux récits minoritaires, en interrogeant les hiérarchies internes des récits, des pratiques et des connaissances.
Session 3
Farah Clémentine Dramani-Issifou (Programmatrice de films, commissaire d’exposition, chercheuse au LESA, Université d’Aix-Marseille) « Défaire la colonialité au musée : réflexions à partir d’ « Un.e Air.e de Famille » (musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis) et d’ « Afrotropes », des imaginaires en mouvement (musée Théodore Monod d’art africain, Dakar). »
L’analyse de deux expositions remet en question les logiques de pouvoir héritées du colonialisme, interroge les pratiques muséales et leurs récits, tout en explorant les représentations de l’Afrique et des identités afro-diasporiques selon une perspective décoloniale et féministe.
Stéphanie Airaud (Conservatrice du patrimoine et commissaire d’exposition, directrice du Musée d’art contemporain de Marseille) « Le musée comme pratique située. 2004-2024 – Expériences du MAC VAL (Vitry-sur-Seine) et du [mac] de Marseille. »
Les expériences institutionnelles développées au [mac] de Marseille et au MAC VAL constituent le point de départ d’une réflexion sur la manière dont les musées d’art contemporain peuvent concilier leur fonction patrimoniale et la possibilité d’accueil de récits alternatifs et de pratiques situées.
Achraf Touloub (artiste) & Souleymane Said (Producteur culturel) « Le Global Museum : réinvention de l’expérience muséale à l’ère numérique »
Le projet Global Museum repense le rôle des musées à l’ère numérique et la question de l’archive en proposant de nouvelles formes de restitution et de transmission à l’échelle mondiale.
Performance
Kristina Solomoukha (Artiste et enseignante, École des Arts Décoratifs, Paris) « Musées dans le pays en guerre » (conférence-performance) 2025
Dans le contexte de l’histoire contemporaine de l’Ukraine, les musées ukrainiens deviennent des acteurs de la résistance et affirment la culture comme vecteur d’identité et outil de lutte en temps de guerre.